
Au vu des précédents ouvrages de l’auteur de « Charlotte Perriand La montagne inspirée« , on se demande ce qui a bien pu amener Pascale Nivelle à passer de livres consacrés à des criminels de guerre nazis ou à des hommes politiques à… Charlotte Perriand. À l’occasion de la soirée de lancement de son livre, cette journaliste qui se dit « amateur de design et de montagne« , explique simplement dans les locaux de son éditeur à Chamonix, qu’en visitant l’exposition de la Fondation Louis Vuitton « Le monde nouveau de Charlotte Perriand 1903-1999 » ( 2 octobre 2019-24 février 2020), elle s’est aperçue qu’il existait un vrai lien entre Charlotte Perriand et la montagne, ce qui a été un déclic pour écrire ce livre… Révélation!

Une deuxième interrogation surgit alors sur l’apport d’un énième livre consacré à Charlotte Perriand après ses propres mémoires très complètes « Une vie de création » (Odile Jacob,1998) et pléthore d’ouvrages généralistes ou thématiques, pour certains très axés déjà sur son amour des sommets, écrits par des auteurs spécialisés et férus d’architecture et de design. Le dernier en date « Charlotte Perriand, Une architecte en montagne » publié en 2023 (Archives Charlotte Perriand-Éditions Norma) signé de Jacques Barsac, son gendre, un expert reconnu, auteur du catalogue raisonné de son œuvre. Entre temps, il y a eu aussi de nombreuses expositions. La rétrospective récente qui occupait tous les espaces de la Fondation Louis Vuitton ayant donné lieu également à un catalogue très documenté et exhaustif, paru chez Gallimard. Après le formidable « Charlotte Perriand. Carnet de montagne » ouvrage collectif truffé de documents (Editions Maison des Jeux Olympiques d’hiver, Alberville,2007), et « Charlotte Perriand, Créer en montagne » de Claire Grangé dans l’excellente collection Portraits éditée par le Caue de Haute-Savoie, auxquels s’ajoute une littérature abondante traitant déjà de cette montagne muse et source de volupté pour Charlotte, de son chalet à Méribel paru dans toutes les revues de décoration, « Charlotte Perriand, La montagne inspirée » peut être accueilli avec quelque étonnement. Le sujet semble n’être une découverte que pour l’auteur ce qui induit des choix arbitraires parfois.
« Encore un livre sur Charlotte ! » se dit-on sans résister à la curiosité de feuilleter les pages de ce bel album… Charlotte Perriand, intrépide et combative, visionnaire, douée de talents multiples, d’une liberté farouche, fascine avec son joli minois toujours illuminé d’un sourire radieux. Elle représente un sujet inépuisable pour l’édition! Et pour autant, comme le souligne Pascale Nivelle, « le style Perriand a mis trente ans a imprimer la décoration intérieure. À soixante ans, toujours pas architecte, elle voudrait laisser sa marque. (…) Et c’est dans la neige qu’elle continue de situer son ambition. Son ambition d’aménager la montagne, née dans ses premières randonnées, est toujours là. »

Son nom reste aujourd’hui indissociable d’un mobilier devenu culte que l’on s’arrache en salles des ventes et chez Cassina (l’unique entreprise autorisée à produire les meubles conçus par elle) mais aussi et surtout, de la création de la station des Arcs 1600 et 1800 en Savoie. Ce cadeau du ciel répond à la demande du promoteur Chambérien Roger Godino. Il arrive à la fin des années soixante, à point nommé pour couronner une carrière en dents de scie où souvent les portes claquent à la Feydeau et lui permettre enfin de réaliser son rêve : imaginer une station intégrée dans le respect d’un environnement qu’elle vénère. « Les Arcs, c’est le résultat d’un travail d’équipe étant donnée l’ampleur du projet » souligne Charlotte qui ne manque jamais une occasion de le rappeler. Épaulée par un formidable binôme d’architectes urbanistes audacieux, montagnards dans l’âme et acquis à sa cause – Guy Rey-Millet et Gaston Regairaz (non cités dans le livre), elle s’investit avec passion dans cette aventure, de 1967 à 1989. Pascale Nivelle en expédie les grandes lignes en dix pages très illustrées et seulement trois de textes. Pourtant « Avec la station de sports d’hiver des Arcs, Charlotte Perriand déploie la pleine mesure de ses capacités d’architecte en dirigeant l’équipe de concepteurs et l’ensemble des études. Cette opération complexe d’urbanisme et d’architecture en site vierge est, sans conteste, celle qui l’a le plus mobilisée. Elle y consacre plus de vingt ans de sa vie professionnelle pour réaliser une station de 30 000 lits répartis sur trois sites. » (Extrait du texte passionnant de l’architecte Jean-François Lyon-Caen qui figure au catalogue de l’exposition « Le monde nouveau de Charlotte Perriand » cité précédemment).

Abondamment illustrée par des documents provenant pour l’essentiel des Archives Charlotte Perriand (source habituelle), la biographie de Pascale Nivelle « Charlotte Perriand La montagne inspirée » évoque avec moult détails sa longue vie mouvementée qui s’écoule comme un torrent de montagne, à des rythmes différents – ses combats, ses bonheurs, ses amis et son déterminisme incroyable. D’une plume alerte, l’auteur, en s’inspirant beaucoup des mémoires de Charlotte, une mine, et du journal tenu par sa fidèle amie Marianne Clouzot, raconte Charlotte Perriand dans son quotidien comme si elle avait vécu à ses côtés, habité ses pensées, ce qui rend le texte très vivant mais aussi forcément « un peu » romancé. Elle tricote allégrement les anecdotes liées à sa vie privée avec sa tribu d’amis, ses amours, ses voyages, ses aventures en montagne, ses déboires et ses réussites professionnels et les créations de cette femme aimantée par les sommets. Parce que chez l’épicurienne Charlotte, dame nature ultra sportive, adoratrice du soleil et de la vie au grand air, alpiniste et skieuse chevronnée, éprise de photo, qui a perpétuellement « l’œil en éventail », chacun sait depuis toujours que tout se confond, s’enchevêtre, que tout est lié de manière indéfectible, fusionnelle. Cette symbiose étroite façonne et nourrit en permanence cette personnalité forte et son œuvre, elle est sa signature.

On connait par cœur sa magnifique déclaration mais on ne s’en lasse pas… « J’aime la montagne profondément. Je l’aime parce qu’elle m’est nécessaire. Elle a été tout le temps le baromètre de mon équilibre physique et moral. Pourquoi ? Parce que la montagne offre à l’homme la possibilité du dépassement dont il a besoin. Elle exalte l’esprit d’équipe, « la cordée » où chacun est responsable du bon aboutissement d’une course en montagne. On ne triche pas avec elle. On la gagne par une épreuve d’endurance, elle permet d’affronter des risques calculés. Par l’effort désintéressé, on élimine toutes les toxines de la ville, y compris celles de la pensée. »
« Charlotte Perriand La montagne inspirée » de Pascale Nivelle, Guérin Éditions Paulsen (Format 23x23cm, 224 pages).
Revoir à l’occasion deux des sujets que j’ai réalisés pour Montagne TV dans mon émission « La Vie de chalet » : « Charlotte Perriand et la montagne », avec les témoignages de Pernette Perriand Barsac et Jacques Barsac à l’occasion de l’exposition « Charlotte Perriand 1903-1999 De la photographie au design » (Du 07 avril 2011 au 18 septembre 2011) où le fameux refuge tonneau avait été remonté devant le Petit Palais : https://www.youtube.com/watch?v=c9ypJ5se5YQ Et « Architecte urbaniste, Guy Rey-Millet et la station des Arcs » , le dernier témoin de la cordée pionnière des Arcs : https://www.savoiemontblanc.tv/culture/architecte-urbaniste-guy-rey-millet-et-la-station-des-arcs-makPvfQc