Après la rentrée littéraire et ses quelques cinq cent vingt romans cette année…arrive une deuxième vague qui déferle elle aussi dans l’espace médiatique, celle – plus modeste en nombre! – des fameux « beaux livres » sur tout et n’importe quoi. Ils réjouissent les Père Noël à court d’idées!!! Certains, il est vrai, relèvent de la catégorie « coffee table books » (« livres de table à café ») dont le but affiché (ou pas!) est d’être décoratifs, vus et non lus, au mieux feuilletés et qui se multiplient à l’approche des fêtes de fin d’année. Mais il serait injuste d’accoler systématiquement à la catégorie « beau livre » une connotation nécessairement péjorative. Elle désigne aussi des ouvrages qui savent joindre le beau à l’utile, captiver leur lectorat par la qualité des textes et celle de l’illustration. Quelques exemples… en lien avec la montagne!

Franche-Comté, Terre d’industrie & de patrimoine (Éditions Lieux Dits, collection Beau livre hors collection).
Pas moins de 416 pages et 700 illustrations pour ce « pavé » aussi lourd que copieux qui révèle les nombreux trésors d’une région où l’on passe de la taillanderie à l’horlogerie, de la lunetterie à l’outillage, de la fromagerie à la distillerie, (avec les deux alcools francs-comtois, le kirsch et l’absinthe), etc… Parmi les industries de montagne, l’horlogerie bien sûr mais aussi la lunetterie qui s’épanouit dans la région de Morez (Jura) au XIXème siècle et perdure malgré une très forte concurrence étrangère. Elle a donné naissance à un musée de la Lunette à Morez qui évoque son histoire depuis les prémices de la filière industrielle au XVIIIème et abrite une des plus prestigieuses collections de lunettes au monde. C’est également à Morez qui regroupe alors de nombreuses fabriques que nait l’industrie horlogère à la même époque.

On se délecte de l’abondance et de la diversité des documents, de la qualité des photos (de Sonia Dourlot, Jérôme Mongreville, Yves Sancey) mais on peut juste regretter qu’à la place de la date de prises de vue, ou en plus si Inventaire oblige, ne figure pas celle du lieu ou du document photographié. Un exemple parmi d’autres : la fromagerie de Moirans-en-Montagne précédée d’un porche néo-classique à portique ne date évidemment pas de 2020 (comme il est indiqué sous la photo à côté du nom) mais de 1824-26 et elle a pour architecte Claude Marie Dalloz, ce que l’on trouve dans le texte ! Le premier chapitre « Patrimoine et industrie » est passionnant pour comprendre à la fois le « Repérage du Patrimoine industriel » , les « Caractères de l’industrialisation en Franche-Comté » et découvrir l’architecture liée à cette industrie. « Indissociable de l’identité de la Franche-Comté, le patrimoine industriel y est partout présent, issu d’industries encore très actives (comme la construction automobile ou encore l’horlogerie, récemment inscrite sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco) ou d’activités aujourd’hui disparues. » Ce livre, réalisé par la Région Bourgogne Franche-Comté, écrit par Raphaël Favereaux et Laurent Poupard s’appuie sur l’aide précieuse du service Inventaire et Patrimoine de la région Bourgogne-Franche-Comté. Il bénéficie du travail de fourmi effectué par Les membres du service de l’Inventaire général du patrimoine culturel, chercheurs, photographes, dessinateurs, cartographes, gestionnaires de base de données, documentalistes dont la tâche passionnante est précisément de recenser, d’étudier et de faire connaître les patrimoines de leur région. Mission accomplie, du moins pour le patrimoine industriel en Franche-Comté, avec cet ouvrage de référence.

Vauban. Homme de l’art de Jean-Loup Fontana (auteur)et Jean-Benoit Héron (illustrateur), (Éditions Glénat)
L’originalité de ce très bel album tient notamment à l’uniformité dans le traitement de l’illustration et à l’angle choisi. Jean-Benoit Héron est un familier des éditions Glénat qui apprécient à sa juste valeur ses talents de dessinateur. « Vauban, homme de l’art » se distingue aussi des nombreux ouvrages déjà parus sur ce sujet en se concentrant uniquement sur le réseau des douze sites majeurs classés au patrimoine mondial de l’Unesco : Arras, Blaye et le fort Médoc, Besançon, Briançon, Camaret, Longwy, Mont-Dauphin, Mont-Louis, Neuf-Brisach, Saint-Martin-de-Ré, Saint-Vaast-la-Hougue et Villefranche-de-Conflent.
Ces deux options éditoriales confortés par le talent des auteurs à nous montrer en quoi ces réalisations de Vauban (Sébastien Le Prestre, marquis de Vauban, connu généralement sous le seul nom de Vauban (1er mai 1633 – 30 mars 1707) sont effectivement remarquables en font un livre à part qui sera apprécié à la fois par les amateurs de réalisations militaires et d’architecture. N’oublions pas que Vauban, comme c’est le cas de manière exemplaire à Mont-Dauphin, fascinant chef-d’œuvre situé dans les Hautes-Alpes mais aussi de Briançon « l’un des dispositifs fortifiés de montagne les plus complets au monde » allie le militaire et le civil, « la science de l’ingénieur s’associe étroitement au génie de l’architecte ». Le livre qui dilue la biographie dans les textes (ce que l’on peut regretter mais c’est un choix !) fait en revanche la part belle à un glossaire très détaillé et très précieux à la compréhension de l’œuvre fortifiée de Vauban où rien n’est laissé au hasard. Cet « éventail de formes » imaginé par Vauban passé maître dans la poliorcétique (dix villes nouvelles construites par ses soins entre 1678 et 1698) mérite les explications précises de l’auteur, Jean-Loup Fontana, qui s’attache à nous faire partager son érudition en nous donnant de multiples clés de lecture.
(Voir pour compléter en images mon émission réalisée en hiver sur « Mont Dauphin » dans « la Vie de chalet » sur MontagneTV : https://www.dailymotion.com/video/xxiz1v )

Aix-les Bains et le lac du Bourget, Safari Patrimoine de Patrick Ollivier-Elliott pour les textes et les dessins, préface de Renaud Beretti (éditions la Fontaine de Siloé)
Voyage dans l’histoire et l’architecture d’une région au patrimoine très riche, ce livre au format à l’italienne a également choisi pour unique illustration le dessin mais à la plume (300 au total pour 281 pages). Patrick Ollivier-Elliott parcourt les merveilles architecturales de sa ville natale et des bords du plus romantique des lacs et remplit ses carnets. L’auteur est aussi le descendant des Rossignoli, « célèbre dynastie d’hôteliers et de capitaines d’industrie, de visionnaires et de bâtisseurs dont le nom épouse l’histoire de notre ville », explique le maire d’Aix-les-Bains dans sa préface. Sans prétendre à l’exhaustivité, il répertorie ses coups de cœur en s’appuyant sur des recherches déjà publiées et sur le travail des auteurs de l’inventaire du patrimoine architectural et urbain d’Aix-les-Bains. Avec justesse et drôlerie il écrit au sujet de cette dernière qu’au XXIème siècle : « le patrimoine bâti d’Aix est fabuleux, et avec de nombreux « ex » : ex-palaces, ex-hôtels (…) ex-château (…) J’ai renoncé à dénombrer ces « ex » dont le nombre a tendance à croître (…) » Sachant que pour reproduire tous ces « ex » devenus propriétés privées en photos, cela relève des travaux d’Hercule tant il faut d’autorisations, l’option dessin semble aussi la meilleure échappatoire ! Se promener avec le livre, vu son poids et son format, semble compliqué alors qu’il est conçu comme un guide. Était-ce le bon choix ? Par ailleurs, on peut regretter que parfois l’auteur soit un peu léger sur ses descriptifs ou approximatif…Et en cela ce bel album constitue plus une mise en bouche qu’un guide véritable.

Des piolets & des Hommes de Denis Pivot (Guérin, éditions Paulsen)
« Des piolets et des hommes » trouve sa parfaite illustration dans l’espace « Simond Héritage ». Véritable musée du piolet au sein du nouveau siège social d’un entreprise Simond, emblématique de l’histoire de l’alpinisme dans la Vallée de Chamonix, il est hébergé dans un bâtiment contemporain superbe, conçu par l’agence Patriarche (d’origine savoyarde) à l’entrée de la ville. Le siège social de l’entreprise, ouvert et mixte regroupe bureaux et ateliers de production de matériel de montagne sur la zone d’activités de la Vigie mais aussi, l’espace muséal Héritage (gratuit). Ce dernier retrace les grandes étapes de cette marque innovante qui accompagne les sportifs depuis les débuts de l’alpinisme jusqu’à nos jours. Denis Pivot, l’auteur de « Des piolets et des hommes » est le concepteur du contenu passionnant, Thierry Berguerand (le Café comptoir à Vallorcine) de la scénographie très réussie. Denis Pivot, collectionneur passionné et guide de haute montagne a tout bon. A la fois avec son livre et pour « Simond Héritage ». Même les contemplatifs (comme moi !) et pas seulement les sportifs, se passionneront à la lecture de l’un et à la visite de l’autre.

Montagne sauvage, une quête derrière l’Objectif de Patrick Gaulon (éditions la Fontaine de Siloé)
Patrick Gaulon, savoyard, ancien chasseur alpin, est un homme de challenges. Autodidacte en photo, il a réussi grâce à sa passion pour la montagne et les animaux à maîtriser la technique depuis des années. Et pour ce premier livre, il se lance aussi dans l’écriture ! Exercice réussi avec humilité et humour parfois pour faire passer le message à tous les amateurs qui seraient tentés par l’exercice ardu de la photo animalière. Sans tenue de camouflage ni matériel sophistiqué, impossible d’obtenir ces images.

Mais cela ne suffit évidemment pas! Avant d’arriver à ce résultat à couper le souffle il faut connaître la montagne, respecter le milieu naturel et maîtriser son sujet, être très sportif et prudent. Aucune photo ne mérite de mettre sa vie en péril ni de lutter contre les éléments qui auront raison de soi. Et puis, qualités premières, la patience et l’endurance. On le suit pas à pas dans son approche solitaire, ses sensations, ce dialogue muet avec les animaux où tout se passe souvent dans le regard et qui met en exergue tous les sens. « Ce besoin vital » – qui est le sien – « d’être en pleine nature et d’aller chercher la montée d’adrénaline au contact de la faune sauvage » mais aussi « d’écouter le silence » se traduit dans ses photos rares prises en toutes saisons qui n’ont rien à voir avec celles d’un banal chasseur d’images. Il y a une profondeur dans la réflexion de Patrick Gaulon, une sensibilité particulière qui pimentent son métier et lui apportent ce supplément d’âme.

Le Chabichou, Courchevel, Stéphane Buron, de Stéphane Méjanès, photographies de Philippe Barret (Éditions Glénat, Collection le verre et l’assiette)
Lorsque l’on parle du Chabichou, c’est tout de suite à Michel Rochedy et à son épouse Maryse, les fondateurs, que l’on pense, à leur histoire d’amour avec Courchevel, au charisme de ce chef doublement étoilé, fils d’aubergistes, à l’accent rocailleux de son Ardèche natale, à cet amoureux de la fête, témoin précieux de l’évolution fulgurante de la station et qui malgré tout, a su garder sa belle simplicité. Aujourd’hui, on l’imagine cultivant ses passions multiples…Tout le monde connait et apprécie le sympathique Stéphane Buron, lorrain d’origine qui a secondé Michel Rochedy en cuisine depuis 1987. Il a réussi à maintenir le cap et à conserver ses deux étoiles depuis la vente du Chabichou en 2018 par son mentor au groupe Lavorel. Si le cadre du Chabichou a quelque peu changé sous la houlette de son nouveau propriétaire, en cuisine, le chef demeure aux manettes Contrairement à d’autres, Stéphane Buron ne privilégie pas uniquement des produits locaux, tant s’en faut ! Parmi les cinquante produits et recettes très détaillés que contient ce beau livre, on s’aperçoit qu’il ne néglige aucune piste pour séduire le palais des clients de Courchevel et déclare : « Je veux revenir à l’essentiel : le goût » Les photographies magnifiques de Philippe Barret ouvrent l’appétit à la fois pour la montagne, les produits et la cuisine gastronomique de Stéphane Buron.

À suivre très prochainement… avec Feuilles d’automne, tome 2