Mai-Thu, Écho d’un Vietnam rêvé

Musée des Ursulines à Mâcon ©MC.Hugonot

Sur la route des vacances d’hiver en Savoie et Haute-Savoie, une halte s’impose au musée des Ursulines à Mâcon où la première rétrospective consacrée au peintre vietnamien Mai-Thu est, par chance, prolongée jusqu’au 2 janvier prochain. Comment ne pas succomber au charme de ces œuvres subtiles qui nous offrent une délicieuse parenthèse et découvrir le lieu plein de charme qui l’accueille…

Mai-Thu, Jeune fille à la tunique verte, 1937, coll. particulière ©Musée des Ursulines.

Arrivé en France en 1937 pour visiter l’Exposition Universelle, Mai-Thu (1906-1980) qui a fait partie de la première promotion de l’Ecole des Beaux-Arts de Hanoï où il a acquis une solide formation académique (de 1925 à 1930), découvre à cette occasion Paris et la culture française. En 1939-40 il s’engage dans l’armée française et démobilisé, séjourne à Mâcon, en Saône et Loire. Cette époque de sa vie va être déterminante pour sa carrière, ce qui justifie pleinement cette rétrospective au musée des Ursulines. Déterminante parce qu’il va connaître le succès auprès de nombreux notables mâconnais que lui présente la famille Combaud et dont il fera le portrait mais aussi parce qu’à cette époque il abandonne l’huile sur toile pour se consacrer à la peinture sur soie et développer un style très personnel induit par cette « technique exigeante n’autorisant que des aplats et frottés légers, sans repentir possible ».

Portrait de Mme N.D. et de sa fille, 1941, Coll.particulière©Musée des Ursulines de Mâcon
Mai-Thu à l’EBAI©Musée des Ursulines de Mâcon

Considéré comme l’un des pionniers de l’art moderne vietnamien, cet artiste qui a passé plus de temps en France que dans son pays d’origine, dont les talents ont été salués de son vivant, sera tout de même oublié par la suite car inclassable et éloigné des avant-gardes. Et l’on sait à quel point l’histoire de l’art est friande d’étiquettes…

La grande majorité des œuvres présentée à Mâcon est inédite. Le musée Cernuschi, musée des Arts de l’Asie à Paris et la fille de l’artiste, Mai Lan Phuong, ont participé à l’organisation de cette exposition reconnue « d’Intérêt National » par le ministère de la Culture* dont l’initiative revient à Michèle Moyne-Charlet, conservatrice en chef et directrice du musée des Ursulines.

J’ai toujours adoré ce peintre, son univers poétique avec des sujets issus pour la plupart du Vietnam traditionnel, la délicatesse de son regard qui explore l’âme de ses sujets, son univers serein et tendre, sa grande maîtrise technique, sa palette lumineuse et douce à la fois, ses compositions élégantes et étagées…cet art qui résulte d’un savant mélange entre Asie et Occident. « Ma peinture n’est pas dans la tradition même si elle en a le caractère par les thèmes auxquels je reste fidèle. Je fais également de la peinture à l’huile comme en Occident mais seulement pour moi car il y a tellement de peintres qui peignent que si j’avais adopté ce type de peinture occidentale, j’aurais eu bien du mal à sortir du lot » déclarait Mai Thu en 1972. Il a réalisé un documentaire sur la peinture sur soie en 1948 qui l’accompagne lors de différents évènements. Malheureusement il a disparu.

La source, 1966. Encre et couleurs sur soie©Courtesy of Almine Rech

A Mâcon, le musée des Ursulines, ancien couvent du XVIIème siècle, est un superbe écrin dont la fonction première sied parfaitement à l’univers de Mai-Thu empreint de sérénité. La scénographie soignée sert également les œuvres.

Scénographie de l’exposition Mai-Thu ©MC.Hugonot

Cette première rétrospective opte pour une présentation chronologique en trois volets qui commence par sa jeunesse au Vietnam jusqu’en 1937, se poursuit par son séjour à Mâcon (1940-1942) – époque charnière – et s’achève avec sa carrière en France entre 1938 et 1980. Il faut prendre du temps pour regarder attentivement les cent quarante œuvres présentées (huiles sur toile, peintures sur soie, dessins, photos et lithographies) valorisées par des cadres conçus également par l’artiste. Un parcours aussi riche qu’enthousiasmant qui se prolonge dans la crypte du musée par différents documents et archives où l’on découvre Mai-Thu musicien, cinéaste et photographe. Des années 30 date une série de clichés montrant les costumes et habitats des ethnies montagnardes du Vietnam.

Le Mont Granier, 1972, Encre et couleurs sur soie, Coll. particulière©Musée des Ursulines de Mâcon

Si la montagne est très présente au Vietnam, elle l’est aussi dans ses photos comme dans plusieurs de ses œuvres , tel que son paysage titré « Le Mont Granier » (sommet situé en Chartreuse) et d’autres où elle figure en toile de fond de scènes dont le sujet central demeure toujours la femme. Qu’elle soit musicienne, à sa toilette, prenant son thé, avec ses enfants, ou en proie à la tristesse de l’exode. Toujours gracile et semblant absorbée dans ses pensées, seule au monde ou éminemment protectrice et maternelle lorsqu’elle couve ses enfants de gestes tendres, la femme est muse pour Mai-Thu. Des autoportraits, quelques paysages et natures mortes s’ajoutent au spectacle de la vie quotidienne où les enfants occupent aussi une place de choix.

Femme et enfants, 1954. Encre et couleurs sur soie, Coll.particulière©Musée des Ursulines de Mâcon

On ne peut que louer cette initiative du musée de Mâcon qui nous permet de retrouver un artiste injustement oublié à une époque où ses œuvres, plus que jamais, nous plongent dans un monde où le maître mot est la paix. Une séance de méditation oh combien bénéfique !

Mai-Thu, Echo d’un Vietnam rêvé au Musée des Ursulines – 5 rue de la Préfecture – 71000 Mâcon (03 85 39 90 38). Jusqu’au 2 janvier. Première monographie de référence, le catalogue, passionnant et abondamment illustré reproduit les œuvres et documents présents dans l’exposition (160 pages).

Voir également les très belles salles consacrées à l’œuvre littéraire et à la carrière politique d’Alphonse de Lamartine, né à Mâcon en 1790. Aux rez-de-chaussée et premier étage, un parcours met en évidence les différentes étapes de l’évolution de Mâcon et de la région depuis l’Antiquité. Une autre section du musée est consacrée aux Beaux-Arts européens. Le musée conserve par ailleurs des œuvres, peintures et sculptures, pièces maîtresses de l’histoire de l’art occidental du XVIème siècle jusqu’à l’art contemporain.

Voir également http://www.mai-thu.fr

(* « Chaque année, le ministère de la Culture décerne le label Exposition d’intérêt national à une sélection d’expositions répondant à des critères d’exemplarité, présentées en région par des musées de France. Les expositions sont sélectionnées en fonction de leur qualité scientifique et du caractère innovant des actions de médiation culturelle menées en direction de tous les publics. » explique Fabien Sudry, Préfet de la région Bourgogne-Franche-Comté, dans sa préface au catalogue) 

Costumes de fête,1963. Encre et couleurs sur soie. Collection particulière ©Musée des Ursulines de Mâcon



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