
L’exposition « Le monde nouveau de Charlotte Perriand 1903-1999 » ouvre ses portes demain à la Fondation Louis Vuitton. Visite en avant première.

Ce qui n’est pas nouveau… en revanche, c’est le visuel de l’affiche de l’exposition de la Fondation Louis Vuitton qui est le même que celui de l’exposition « Charlotte Perriand, de la photographie au design » présentée au Petit Palais en 2011. Exposition qui montrait devant le musée, son fameux refuge tonneau et consacrait une section à « Charlotte Perriand et la montagne ». D’où le choix de cette photo anonyme de Charlotte torse nue, vue de dos en montagne (1930). Une image superbe qui traduit merveilleusement les propos de la savoyarde d’origine et de cœur, ultra sportive, amoureuse des sommets : « J’aime la montagne profondément. Je l’aime parce qu’elle m’est nécessaire. Elle a été tout le temps le baromètre de mon équilibre physique et moral. Pourquoi ? Parce que la montagne offre à l’homme la possibilité du dépassement dont il a besoin. Elle exalte l’esprit d’équipe, « la cordée » où chacun est responsable du bon aboutissement d’une course en montagne. On ne triche pas avec elle. On la gagne par une épreuve d’endurance, elle permet d’affronter des risques calculés. Par l’effort désintéressé, on élimine toutes les toxines de la ville, y compris celles de la pensée. »

La montagne et Charlotte Perriand, indissociables, sont notamment évoquées dans cette nouvelle exposition au sein des galeries « Urbanisme & Architecture » avec l’audacieux refuge tonneau meublé (1938), imaginé avec Pierre Jeanneret, que l’on peut visiter et son travail « en cordée » aux Arcs 1600 et 1800 (1967-1989). Cette aventure elle la partage avec une équipe d’hommes très admiratifs de son talent. A commencer par le promoteur Roger Godino jusqu’à ses collaborateurs architectes urbanistes de l’Atelier d’Architecture en montagne (AAM) tels que Guy Rey-Millet ou Gaston Regairaz, pour ne citer qu’eux. Une superbe maquette créée pour l’exposition resitue les différents bâtiments dans la station qui s’illuminent simultanément aux images qui défilent. Le texte du catalogue de l’exposition lié des Arcs a été confié à un grand spécialiste de l’architecture en montagne, Jean-François Lyon-Caen.

A l’occasion des vingt ans de sa disparition, l’hommage rendu à Charlotte Perriand, cette « femme de l’art » comme elle aimait à se qualifier pour échapper à toute étiquette (designer, architecte, urbaniste, photographe, scénographe, etc.), illustre parfaitement sa vision de la synthèse des arts. Elle qui aimait jouer avec la scénographie se retrouve intelligemment scénographiée avec ses propres créations qui côtoient les œuvres d’art de ses amis, notamment Fernand Léger, Miro, Picasso, Miro, Calder, Braque ou bien encore le sculpteur Henri Laurens… Les reconstitutions d’intérieurs apportent de la vie aux espaces et surtout facilitent la lecture de son œuvre et la compréhension d’un vocabulaire plastique récurrent et d’inventions multiples.
Quatre ans de réflexion et deux ans et demi de construction ont été nécessaires à l’élaboration de cette exposition qui, pour la première fois remplit tous les espaces de la Fondation Vuitton. Laquelle fête son cinquième anniversaire avec une exposition qui devrait connaître le succès des précédentes.

Pas moins de 400 œuvres sont réunies – de Charlotte seule ou en collaboration – mais aussi des œuvres d’art plastique (céramiques, sculptures, mobiles, dessins, peintures, tapisseries, photocollages,etc.), des plans et croquis auxquels s’ajoutent les publications. Un dédale de salles aérées où tout est très valorisé. L’espace dévolu à la rencontre des cultures, avec l’expérience du Japon (1940-41) qui aura de telles répercutions sur sa créativité, est particulièrement riche. Pour Charlotte Perriand : « L’art est dans tout, l’art est dans la vie et s’exprime en toute occasion et en tout pays »,

Sans oublier la surprenante reconstitution de la Maison au bord de l’eau (1934). Comme de nombreux projets de Charlotte Perriand, celui-ci n’avait jamais trouvé preneur, donc n’avait pas été réalisé. Ce prototype est donc particulièrement intéressant d’autant plus qu’il résume dans sa conception une notion chère à Charlotte : la nature à la fois muse et ressource, un vrai fil rouge. Cette maison sur pilotis a été installée dans l’eau par la Fondation et non au bord de l’eau, ce qui en soi montre sa flexibilité. Car rien n’est gravé dans… le bois ni dans un des autres matériaux qu’elle utilise pour construire cette œuvre protéiforme très libre et qui libère à la fois la femme recluse dans sa cuisine comme l’espace contraint réorganisé grâce à des créations multiples. Mais aussi la pensée à travers sa manière de tout décloisonner, de privilégier une synthèse des arts transversale (et non pyramidale), de garder les pieds sur terre et la tête dans les étoiles. « Il faut avoir le regard en éventail » se plaisait à dire cette femme d’avant-garde qui souhaitait avant tout « Vivre son siècle et anticiper ».

©Musée d’art moderne, Donation Maurice Jardot, Belfort Courtesy of Donation Maurice Jardot,Belfort, ©Adagp, Paris, 2019.
http://www.fondationlouisvuitton.fr , jusqu’au 24 février 2020. Catalogue et Petit journal de l’exposition publiés par la Fondation Louis Vuitton et les éditions Gallimard. Tome IV de l’Oeuvre complète de Charlotte Perriand par Jacques Barsac (Editions Norma). Beaucoup de nouvelles parutions – exposition oblige – qui ne doivent pas occulter la lecture essentielle de ces publications de référence toujours disponibles : l’autobiographie passionnante de Charlotte Perriand « Une vie de création »(Editions Odile Jacob), » Charlotte Perriand. Carnet de montagne » , Textes et images choisis par Roger Aujame et Pernette Perriand-Barsac (Maison des jeux Olympiques d’hiver) et plus récemment, « Charlotte Perriand, créer en montagne » de Claire Grangé, Guy Rey-Millet et Gaston Regairaz (Edité par le Caue – Conseil d’Architecture, d’Urbanisme et de l’Environnement – de hHaute-Savoie dans son excellente collection « Portraits »).
Focus au MAD (Musée des Arts décoratifs)à Paris sur le chalet personnel de Charlotte Perriand à Méribel. Une period-room dans les collections permanentes. Jusqu’au 24 février.