Anne Marmottan, créatrice à l’esprit vagabond.

Anne Marmottan©Anne Marmottan

De la photographie à la céramique… en passant par le dessin, tout l’intéresse. D’origine grenobloise, Anne Marmottan fait partie de ces nombreux professionnels de la montagne qui conjuguent naturellement plusieurs activités. Jusque là, rien d’étonnant. Mais si cette jolie brune aux yeux bleu glacier est avec son sourire éclatant une parfaite ambassadrice de sa région, elle s’avère aussi un esprit curieux attiré par l’art sous toutes ses formes.

Arrivée à Tignes en 1986 telle Juliette pour suivre son Roméo, elle n’a depuis jamais quitté la Tarentaise, allant de Tignes à Séez, Bourg Saint Maurice et Sainte-Foy où elle décroche son premier poste dans le tourisme en 1991. C’est ensuite Séez, Montchavin les Coches et les Arcs. Depuis plus de quinze ans, la voici de retour à Sainte-Foy. Dans une ancienne épicerie du village, elle installe il y a quatre ans son atelier de céramiste où elle expose ses créations originales et diversifiées, purement décoratives pour certaines, alliant l’utile à l’agréable avec une fonction d’usage, pour d’autres !

En tant que responsable promotion du Tourisme en Haute Tarentaise, un territoire qui offre un panel d’activités et de paysages variés (avec des stations de ski internationales mais aussi des villages et hameaux de charme), comment vis-tu l’impact de la situation actuelle sur la saison d’hiver ?

C’est un épisode inédit et douloureux pour la vallée où chacun ne peut que se résigner à cette étrange réalité. Cette région hautement touristique va subir des pertes économiques considérables, comme tous les sites touristiques français d’ailleurs. Nous sommes habitués à une activité très intense avec une clientèle internationale.
Quelques amoureux de la montagne et des locaux viennent quand même pratiquer des activités comme le ski de randonnée ou la raquette, mais il ne faut pas se voiler la face, sans le ski, l’attractivité n’est plus la même. Il faudra sans doute penser les choses différemment. Mais aujourd’hui, nos stations de ski désertées sont comme figées.
Il manque de la joie, du mouvement, de la bonne humeur, de la vie quoi… A l’inverse, les paysages sont magnifiques, sans trace humaine, les chutes de neige cumulées forment des vues magnifiques autour des chalets aux toits chargés.

Nature secrète et inspirante à Sainte-Foy Tarentaise. Le hameau du Fenil devant les glaciers du Mont Pourri.
©Anne Marmottan

Lorsque je t’ai connue, tu étais directrice de l’Office du tourisme de Séez, ravissante petite commune et berceau de la filature Arpin. Dans cette « autre vie » tu étais passionnée de photo. Est-ce encore le cas ? Et comment ton regard et ton utilisation de la photo ont-ils évolué ?

J’aime toujours autant la photographie mais je ne la pratique plus professionnellement que pour la station de Sainte-Foy et pour mon plaisir. A l’époque je faisais aussi de la photo d’illustration avec des personnages et des mises en scène. Aujourd’hui je suis plus attirée par des images aux lignes graphiques, pures, par des ambiances sauvages.

Est-ce que j’ai manqué un épisode important, ton activité de peintre et dessinatrice par exemple ?

J’avoue avoir testé de nombreuses activités artistiques avant de choisir la céramique ! Très jeune, j’ai commencé le dessin et voulu essayer aussi la peinture à l’huile et le pastel.

Azur et bleu nuit, porcelaine. Technique du coulage, décor au pinceau. ©Anne Marmottan

Quel a été le déclic de ton attrait pour la céramique et ton parcours initiatique dans ce domaine ?

Il y a encore cinq ans, je n’étais pas très attirée par la céramique. Par ignorance sans doute car j’avais tendance à l’assimiler un peu rapidement à cette poterie artisanale, lourde, chargée, sombre, pas forcément très raffinée… même si comme tout le monde j’aimais en rapporter de mes voyages ! Et puis l’occasion m’a été donnée d’utiliser un tour de potier pendant tout un été, prêté par Olivia, une amie qui travaille la terre. J’ai donc découvert de façon autonome un nouveau et vaste univers et l’aventure a commencé ainsi. C’est vite devenu addictif ! Travailler sur un tour, c’est magique, presque hypnotique. J’oubliais tout, concentrée sur cette boule de terre qui prenait forme entre mes mains grâce à la force centrifuge.

Vases en cours de finition, avant première cuisson ©Anne Marmottan

J’ai suivi des stages et différentes formations. Naturellement mes premières pièces étaient délignées, elles sont restées blanches avec une simple couverte transparente (émail) et un petit motif aux 3 sapins qui me suit encore. Après la faïence au début, je suis rapidement passée au grès et à la porcelaine plus solides, cuits à haute température entre 1250 et 1280°. En plus du tour, la technique du coulage s’est imposée pour réaliser des séries. Petit à petit, l’atelier s’est monté dans ces très belles réserves de l’ancienne épicerie du village où j’habite.

Anne à l’atelier en plein tournage d’une pièce ©Anne Marmottan

Qu’est ce qui a orienté vers l’épure, le blanc… mais aussi une certaine utilisation de la couleur, des choix esthétiques qui s’éloignent radicalement de l’image de la poterie traditionnelle savoyarde ?

« Less is more »** pourrait être ma devise. Nous sommes passés dans un monde plus doux, plus sobre, plus aérien, plus discret avec des lignes plus pures.
La céramique traditionnelle savoyarde est très belle et je l’apprécie, mais elle ne correspond pas à l’univers que je recherche ou alors je l’adapterai à ma façon, ce qui pourrait être envisageable. (** « Less is more » – « moins c’est plus » (ou mieux!), une formule fétiche de l’architecte Ludwig Mies van der Rohe (1886-1969) adepte du minimalisme).

Service en grès grège ©Anne Marmottan

Qui sont tes clients et commanditaires ?

Je travaille pour les « Ateliers Manufacture » à Courchevel pour lesquels je produis des services complets, qui vont équiper des appartements ou chalets haut de gamme. Les architectes et décoratrices d’intérieur des Ateliers Manufacture proposent leurs services clé en main et sur mesure aux nouveaux acquéreurs de biens immobiliers. Mes céramiques font partie de leur catalogue et des choix proposés. On trouve aussi mes créations à l’hôtel le Monal à Sainte-Foy.
Je reçois aussi des particuliers qui passent directement à l’atelier, des locaux et des propriétaires de résidences secondaires pour des petites séries personnalisées pour équiper leurs chalets. Je réalise des ventes à distance aussi et suis présente dans quelques boutiques, mais peu. 

Ours en ciment blanc après ponçage ©Anne Marmottan

Il y a aussi la sculpture. Qu’est-ce qui t’a donné envie de te lancer dans le moulage ? Et ce choix de matériaux ? Ton ours polaire fait référence à celui du sculpteur animalier François Pompon, c’est volontaire et pourquoi cette source d’inspiration ?

C’est surtout le bois de cerf qui a motivé mes premiers moulages. Je rêvais de revisiter le célèbre et majestueux lustre en bois de cerf qui me faisait frissonner en un féérique lustre géant et absolument blanc. J’ai tenté de mouler un bois de cerf pendant un certain temps, cherchant des informations dans les ouvrages techniques… Avec une ligne fuyante et tournante,  je ne commençais pas par le plus facile ! Grâce aux précieux conseils de Patrick Moreau (« Esprit composite » à Paris), j’ai enfin trouvé la technique appropriée et j’ai réalisé quelques assemblages pour luminaires, pour l’hôtel Montana à Val Thorens et la réception de l’hôtel MMV, l’hôtel des deux domaines de Belle Plagne. L’ours est arrivé ensuite, certainement inspiré par Pompon. L’ours est universel, il a une charge affective très forte, surtout quand il est blanc. Il représente l’univers de la neige et du grand blanc, l’animal parfait pour poursuivre mon chemin. Je lui ai ajouté des petits personnages inuit, le frère et sa petite sœur, qui l’ont fait rentrer dans un monde fantastique. Il avait désormais une mission, amener à bon port ses jeunes cavaliers …

Parle-nous du collectif de créateurs « Alpine concept store » qui se revendique « 100% Alpes »

Il s’agit du collectif que j’ai créé il y a quelques années et qui n’est malheureusement plus actif. C’était une époque très intense et amusante. Nous étions tous installés en montagne et chacun isolé finalement. La finalité était de nous faire connaître par le biais de salons ou de rencontres éphémères. Chacun a été vite accaparé par ses propres projets et même si nous nous entendons très bien, nous n’avions plus vraiment besoin d’actions communes via le collectif. Stéphane le forgeron travaille désormais pour un important client professionnel, Caline, Lotta et Eva ont ouvert une petite boutique de tissage, textile et objets déco, l’atelier ‘Studio 178’ à Aime, la dessinatrice Justine Guenon, qui comme moi réside sur Sainte-Foy, travaille à de nombreux projets sur Val d’Isère. Quant à Vicky Royer, ma fille, elle entame sa carrière d’illustratrice freelance avec succès.

Mugs tournés, grès blanc et grès de Saint Amand ©Anne Marmottan

Quel est l’apport de cette activité de céramiste et sculpteur dans ta vie ?

J’ai toujours mené une double vie. C’est-à-dire que parallèlement à un emploi fixe et sérieux, le reste de mon temps a toujours été dédié selon les périodes, à différentes activités créatrices. La photo et la céramique sont celles qui ont pris le plus d’ampleur.

On a oublié de parler de ton attrait pour la décoration qui donne lieu à des créations telles que des luminaires. Tu nous en dis plus sur cet autre centre d’intérêt ?

La lumière est essentielle. Une fois le soleil couché, ce sont les éclairages intérieurs, suspensions, appliques ou photophores en porcelaine qui prennent le relais et contribuent à créer une ambiance agréable. La lumière est une belle façon de mettre en valeur une pièce en porcelaine par le jeu des transparences ou de magnifier une imposante couronne de bois de cerf blancs. C’est important de se sentir bien chez soi, dans un intérieur qui nous rassure, de s’entourer d’objets personnels qui racontent une histoire. Et puis la déco nous fait voyager et nous projette dans des univers différents. Cela peut être un voyage en méditerranée, en montagne, ou dans un pays étranger ou même imaginaire.

Peux-tu nous parler de tes projets. Vers quoi tu t’orientes actuellement ?

J’ai gardé un pied dans le tourisme à Sainte-Foy que j’affectionne. Cela me permet de me consacrer aussi à mon activité artisanale. Il est assez difficile de peindre sur des pièces en céramique biscuitées. Je suis en train d’explorer la technique des chromos sur céramique. Elle permet de reproduire des illustrations sur des pièces avec une cuisson en troisième feu à 800°. L’idée est de retravailler les plus belles photos d’hiver pour créer un décor subtil dans des nuances que l’on retrouve dans la nature sauvage en hiver : camaïeux de blanc, gris, bleuté, terre. Et une autre option consiste à travailler sur une collection d’illustrations de montagne avec ma fille Vicky. Parallèlement entre deux commandes, j’ai commencé une collection de vases, que j’aimerais de plus en plus grands. Inspirée par le style des années 50, 60 dans la forme, mais agrémenté d’un détail qui évoque la montagne, corne de bouquetin ou l’aile d’un aigle

Quels domaines de l’art ou de l’artisanat as-tu encore envie d’explorer ?

Pour le moment, j’explore encore la céramique. Cela peut prendre toute une vie. C’est un monde tellement vaste qu’on peut facilement passer de la vaisselle utilitaire à l’œuvre d’art abstraite, une fresque.
J’ai du mal à m’enfermer donc forcément je vais évoluer vers de nouveaux modèles ou nouvelles lignes.
Au-delà du résultat, c’est vraiment le fait d’explorer et découvrir de nouvelles techniques qui me plait. Mais une chose est sûre, le blanc sera toujours présent !

Bol en grès blanc. technique coulage. ©Anne Marmottan

Quelle serait ta définition personnelle de « l’art de vivre à la montagne ? » Tu es, chose rare, à la fois sportive et contemplative, intéressé par les activités sportives et artistiques… Comment vis-tu la montagne ?

J’évolue dans un décor fantastique et inspirant. Je suis stimulée par de nombreuses personnes qui apprécient mon travail, qui sont surpris de trouver un style de céramique sobre avec des codes montagne. L’art de vivre à la montagne selon moi, c’est être conscient de la chance que la nature nous offre ici et savoir en profiter, chacun à sa façon.

service de table en faïence blanche ©Anne Marmottan

Atelier showroom d’Anne Marmottan

L’épicerie – chef lieu-route de Val d’Isère, 73640 Sainte-Foy-Tarentaise/ 06 88 89 91 69/ http://www.alpine-concept-store.com

©Anne Marmottan

Lotta, Caline, Eva au Studio 178  
178 Grande Rue, 73210 Aime (06 29 54 42 26)

Vicky Royer : www.royervicky.com

Lire « La sagesse du potier » de Jean Girel (potier savoyard), éditions L’œil neuf, collection Sagesse d’un métier, 2004 (réédité). Un hymne véritable à ce métier proche de celui de céramiste que l’auteur exerce aujourd’hui avec talent en Saône-et-Loire.

(Extrait) « Pendant le tournage, tout mouvement de pression ou de relâchement doit s’accomplir insensiblement, mais sans hésitation. Toute brusquerie est un traumatisme, toute faiblesse est une démission qui s’inscrit dans la matière comme le vécu d’un être. La cuisson comme la vie se chargera de tout faire ressortir. Le jour où l’on connaît suffisamment sa porcelaine pour prévoir ses réactions, respecter son tempérament, tourner devient un bonheur absolu. La blancheur de la pâte, la douceur de son toucher, sa réponse au moindre geste rendent le tournage comme transparent. Il n’y a plus la main du dehors et celle du dedans. Il n’y a plus d’argile, mais simplement du vide en train de prendre forme. »

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