Laurent Guillaume, l’émotion intacte

Unique en son genre, le magazine « Chroniques d’en Haut » cartonne sur France 3 Auvergne Rhône-Alpes. Laurent Guillaume, son créateur et présentateur a su fidéliser depuis 1998 des amoureux de la montagne qui apprécient sa personnalité spontanée, passionnée, drôle et…nature. Rencontre perchée avec une personnalité vraie qui s’avoue plus contemplatif que sportif. Et qui pourtant… ne cesse de crapahuter à l’écran!

« Chroniques d’en Haut » entame sa vingt-quatrième saison. Est-ce que tu peux nous raconter l’origine de ce magazine que tu présentes mais dont tu es aussi le créateur ?

C’était en 1998. A l’époque, le magazine « Montagne » de Pierre Ostian existait depuis longtemps, mais ne parlait la plupart du temps que de destinations lointaines à travers le monde, et des exploits relatifs à la haute montagne. Il y avait donc un créneau pour parler d’une montagne vivante, habitée, proche de nos propres expériences. Dès que j’ai fait de la télévision, j’ai toujours eu envie d’explorer cet univers qui me plait tant, mais pour lequel j’ai toujours eu un regard très contemplatif. Je ne suis pas un montagnard, et encore moins un alpiniste : j’ai le vertige quand je monte sur une chaise ! En revanche, je crois avoir une sensibilité exacerbée concernant cet univers, ceux qui y vivent et le font vivre. Et partager les choses que j’aime est un des moteurs de ma vie.

S’intéresser à la montagne et à ses habitants, le concept était précurseur en 1998. Il n’est pas imité, chose rare dans le paysage audiovisuel. « Chroniques d’en Haut » reste unique en son genre. C’est un atout majeur, non ?

Disons que la montagne était le plus souvent considérée comme un territoire hors limite, d’exploration ou d’exploits. Mais c’est d’abord un univers à vivre, à contempler. C’est la proximité propre à France 3 en région qui permet de s’installer sur ce créneau, qui est d’ailleurs de plus en plus porteur depuis les confinements qui ont remis au goût du jour les besoins d’authenticité et de nature.

En vingt ans, de quelle manière avec ton équipe, as-tu fait évoluer « Chroniques d’en Haut » ?

Sur la forme. L’émission s’est adaptée à ses différents créneaux de diffusion : on ne parle pas de la même façon aux téléspectateurs un samedi à 18h ou un dimanche à 13h. Et en 25 ans, le ton, la narration et la mise en image ont beaucoup changé. Mais sur le fond : pas vraiment. Notre cœur de métier c’est la vie, les paysages, les gens.

Qu’est-ce qui t’anime toujours pour présenter ton émission après tant d’années et de kilomètres parcourus ?

Même s’il nous arrive de retourner parfois dans les mêmes lieux : les histoires à raconter ne sont jamais les mêmes. Et la montagne est un univers particulièrement changeant d’une saison à l’autre et même d’une année à l’autre. Le plaisir est intact, je ne me lasse absolument pas une seconde de tourner ce magazine.

Parmi tous tes tournages, quelle anecdote marquante choisis-tu de nous raconter ?

Il y a eu de nombreux tournages à l’étranger à une certaine époque. Même dans ce cas : on rencontrait des gens simples qui vivent dans cet univers, nous n’avons jamais cherché autre chose que cette simplicité, cette authenticité. Ces tournages en Suède, Norvège, au Liban, au Maroc, au Québec, en Islande ou dans les Andes font partie des plus beaux moments de tournage. Mais mon meilleur souvenir (ou le plus émouvant) fût cette trilogie sur les Chemins de Compostelle. Je ne suis pas très porté sur la chose religieuse, mais au-delà des croyances : il se dégage quelque chose d’incroyablement puissant sur ce chemin parcouru depuis plus de mille ans, qui m’avait bouleversé.

Valloire depuis Poingt Ravier©Valloire Tourisme

Parle-nous de ton village coup de cœur, Valloire

Depuis tout petit j’ai eu la chance de partir aux sports d’hiver avec ma famille à Valloire, en Savoie. J’ai toujours été fidèle à cette station village que j’ai vu grandir ces 50 dernières années pour se hisser parmi les plus grandes. Elle correspond parfaitement à ce que j’aime en montagne : un village authentique habité par des gens dont les aïeux ont travaillé dur aux champs avant de construire pas à pas leur station de ski. Et puis j’aime aussi ce domaine skiable varié, aux paysages superbes, ainsi que la grande place laissée sur la commune à la montagne sauvage non équipée. Valloire remplit à peu près toutes les cases de ce qui me plait en montagne. Même si je ne lui trouve pas que des qualités, à ma station de cœur. Mais quand on aime : on aime aussi les défauts.

Est-ce que tu es un grand lecteur de livres liés à l’univers de la montagne et lequel nous conseilles-tu de lire absolument ? Pourquoi ?

Et bien au risque de t’étonner : pas vraiment. Je crois que de la même façon que je n’étais pas passionné par la très haute montagne – même si j’ai un immense respect pour ceux qui la pratiquent –  je n’ai jamais pu me plonger dans ce genre de récit. Peut-être parce que cet univers-là me fait un peu flipper ?

Et la montagne au cinéma, lorsqu’elle sert de décor, tu as des films cultes ?

Mes films cultes n’ont pas pour décor la montagne. Sauf peut-être Shining, mais on ne peut pas dire que la montagne soit le sujet principal du film de Stanley Kubrick. Quoique. Sans cet isolement au bout du monde, perdu dans la neige, parfaitement mis en scène par le Maître, serait-on autant angoissé pendant le film ?…

En fait, la montagne n’est pas une obsession pour moi. Je lui ai consacré ma vie professionnelle et une grande partie de ma vie personnelle, mais je ne mange pas des tartiflettes tous les jours ni de la fondue, et j’ai à peu près la même passion pour l’Océan, qui a le grand défaut d’être bien plus loin de Lyon…

Le Mont-Blanc vu du golf au Praz © Cécile Gruffat

Quelle est la destination où l’équipe de « Chroniques d’en Haut » s’est rendue le plus souvent et pour quelles raisons ?

Par la force des choses : Chamonix. C’est la capitale mondiale de l’alpinisme mais au-delà : c’est ici que l’on peut raconter de nombreuses histoires liées à la montagne. Mais nous avons tourné aussi très souvent en Haute Maurienne, et dans les Hautes Alpes. J’aime ces régions pour leur authenticité. J’aime aussi les bouts du monde… Et les vallées où le tout-tourisme n’est pas la seule raison d’y vivre.

Vers quels nouveaux choix éditoriaux s’orientent les magazines à venir ? C’est un travail d’équipe. Qui décide de quoi ?

Voilà bientôt 25 ans que je dirige ce magazine, mais nous travaillons maintenant avec une équipe rédactionnelle qui met son savoir-faire en terme de casting et d’écriture au service du magazine. Les choix se font de façon collégiale. Il faut dire qu’après bientôt 700 émissions dont une bonne partie ont été initiées par mes idées et envies, il était temps d’agrandir l’équipe et de fait, nos horizons. D’ailleurs CDH devient aussi un magazine outdoor de découverte pas forcément toujours en montagne. Il y a de belles choses à voir aussi dans les collines, ou les massifs moins connus comme l’Ardèche, la Haute Loire, le Val de Loire, au fil du Rhône, ou dans le Pilat. Tant que ça penche un peu et qu’il y a un point haut : ça me va !

Quant aux choix éditoriaux : ils se dirigent de plus en plus vers la mise en valeur d’une nature respectée. Il y a des choses qu’on filmait il y a 25 ans et qu’on ne ferait plus aujourd’hui. Le public, et notamment celui d’un magazine sur la montagne, est de plus en plus exigeant aujourd’hui sur le respect de l’environnement. Pour autant, nous ne sommes pas les ennemis des stations de ski, elles sont partie prenant de la vie montagnarde. Elles permettent à l’immense majorité de la population de vivre dans les vallées, mais aussi, et pourquoi ne pas le dire, à beaucoup de gens de pratiquer les sports d’hiver, de découvrir cet univers, d’oublier un peu le quotidien. Et même s’il est vrai que ces loisirs ne sont accessibles qu’à une clientèle plutôt aisée, il existe aussi des petites stations qui rendent encore ces plaisirs là accessibles au plus grand nombre. Elles ont notre sympathie, car leur avenir est menacé.

Ta passion pour la montagne est à l‘origine de « Chronique d’en Haut ». Comment est-elle née ?

La montagne est le seul endroit à 2 heures de Lyon qui peut donner à ce point le sentiment d’être loin, d’être ailleurs. Quitter la grisaille des mois de janvier en plaine pour se retrouver dans un univers étincelant et baigné de soleil, c’est mieux que de traverser l’atlantique pour aller se poser les fesses sur une plage. Enfin, pour moi. Tout petit, j’étais fasciné par la neige, qui recouvre tout, qui rend les choses tellement différentes et tellement plus belles que notre quotidien, qui illumine les nuits et qui procure tant d’émerveillements et d’activités. C’est par fascination pour la neige que j’ai appris à aimer la montagne, parce que c’est en montagne qu’il y a de la neige. C’est aussi bête que ça !

 Il y a d’abord eu, de fait, la passion pour la montagne l’hiver, puis la montagne l’été, et enfin la montagne l’automne et en toutes saisons. Chaque mois apporte sa propre lumière qui change la lecture du paysage et qui rythme la vie des gens. Même si l’avènement du ski a tout changé : c’est quand même bien la saison et la neige présente ou pas qui définit la vie et l’activité. Comme autrefois.

Pendant le premier confinement, tu écris : « J’ai pris le temps de m’imprégner de cette montagne dont je parle depuis vingt ans ». Tu peux nous expliquer?

J’ai passé les deux mois du premier confinement chez moi à Valloire, où jusque-là je n’étais qu’en vacances ou en week-end, occupé à randonner, à faire du ski, à partager ces moments avec les amis. Mais dans ce contexte très particulier : la réalité de la montagne au quotidien, celle qu’on vit au jour le jour, en s’affranchissant des activités habituelles qui nous maintiennent dans un tourbillon incessant : c’était nouveau. On avait droit à 1 km autour de chez soi, j’ai donc apprivoisé en gros plan cet univers que je survolais jusque-là, pressé entre deux journées de ski ou une rando. Un peu comme le photographe qui quitte le grand angle pour s’intéresser à la macro.

On avait le temps pour ça, et rien d’autre à faire, ou presque, tout étant en suspens. On a pris le temps de mieux connaitre les voisins, et surtout : d’attendre que cette foutue neige que je chérissais d’habitude fonde enfin, tellement qu’on avait envie de vert et de printemps. Jamais sa présence dans mon jardin ne m’avait paru aussi encombrante ! J’ai compris pourquoi mes amis Valloirins me disaient tous que passé la fin de saison, la neige, ils n’en pouvaient plus ! Et au-delà de cette anecdote : c’est la première fois que j’étais présent pendant le réveil pas à pas de la nature au printemps, en ayant rien d’autre à faire que de contempler chaque bourgeon et chaque carré d’herbe qui reprend vie.

Habituellement, je permets à ceux qui vivent la montagne de se raconter dans l’émission. Mais là, c’était un moment pour moi, et moi seul. Et même si je n’ai pas pu m’empêcher d’écrire pour partager ces expériences : ces heures de tête à tête avec la montagne, avec « ma » montagne, ont été précieuses. Et pas si faciles à vivre que ça… Elle m’est apparue, cette montagne, dans sa réalité quotidienne non fantasmée, ni enjolivée par l’esprit des vacances. Juste par son temps « vrai » et parfois, un peu long…

L’Aiguille noire à Valloire ©Valloire Tourisme

Tu partages ton temps entre Valloire en Savoie, ton village d’adoption et Lyon, ta ville natale. Cette « double vie » répond à quels impératifs ? Lorsque tu reviens à Valloire, comment vis-tu la montagne ?

J’ai besoin de la vie citadine, je suis Lyonnais et j’aime ma ville, ses lumières, ses fleuves, et aussi quelques petites choses appréciables comme la possibilité de s’y balader dans l’indifférence générale… Contrairement aux villages où l’on se croise tous sans cesse. Mais j’ai besoin aussi de me ressourcer à Valloire. D’où cette impermanence qui me fait monter et redescendre sans jamais savoir où est ancrée ma vraie vie. Je m’y suis fait. J’ai besoin de quitter Lyon pour être heureux de la retrouver, et même chose pour Valloire. Comme les deux faces d’une même pièce que je n’arrive pas à faire tenir en équilibre sur la tranche.

Est-ce que tu peux nous parler de tes autres passions, la météo par exemple, mais pas seulement et de leur place dans ta vie professionnelle ou personnelle ?

Il m’arrive de présenter la météo sur France 3 au national en tant que remplaçant. J’étais volontaire pour ça. Parler du temps est non seulement un sujet qui concerne chacun, mais aussi une façon de s’ancrer dans la vie, la nature, avec la seule chose que l’Homme est totalement incapable de dominer. C’est le cerveau reptilien qui parle quand on frissonne au fracas du tonnerre ou que l’on ressent une angoisse mêlée de fascination lors d’une tempête de neige, là où l’on peut encore rester bloqué quelques jours – comme dans mon hameau d’altitude.

Ça n’est pas la prévision météo en soi qui m’intéresse, mais le temps qu’il fait. Parce que j’aime savoir si une tempête de neige aura lieu pour me donner les moyens de ne pas la rater, ou si un soir d’été, la chaleur accablante va enfin disparaitre après un beau spectacle son et lumière en cas d’orage. De la même façon : la persistance de ces foutus stratus et autres nuages bas en plaine lors des anticyclones d’hiver me déprime au dernier degré… Je suis extrêmement sensible aux phénomènes météo. Je détesterais par exemple le climat méditerranéen où il ne se passe rien, à part le mistral et deux fois par an, et des trombes d’eau dévastatrices lors des épisodes cévenols. Les climats tropicaux sont punitifs pour moi : à peu près toujours la même lumière toute l’année, et toujours la même température…

J’aime les saisons pour ce qu’elles sont et ce qu’elles ont à nous apporter. Un hiver hivernal, un été estival, un printemps printanier… Ce qui est terrible pour moi c’est quand les saisons empiètent les unes sur les autres. La grande douceur en hiver, loin de me faire plaisir me déprime, tout comme les temps maussades en été. On a la chance d’avoir 4 saisons variées, avec leurs lumières, leurs ambiances, leurs odeurs. Et je ne peux que constater avec tristesse qu’elles sont de moins en moins souvent conformes à nos souvenirs d’enfance.

Alors le meilleur moyen de savoir ce qui pourrait me faire kiffer et organiser mon emploi du temps en fonction du temps qu’il fera était de m’intéresser à la météo.

Et n’oublie pas : à l’origine de tout, de ma passion pour l’univers montagnard, et donc plus tard de la création de CDH : il y avait cette fascination très adolescente pour la neige… Fascination qui ne m’a jamais quitté.

©Valloire Tourisme

Chroniques d’en Haut, sur France3 Auvergne-Rhône-Alpes, magazine proposé et présenté par Laurent Guillaume, Tous les dimanches à 12H 50.

https://france3-regions.francetvinfo.fr/auvergne-rhone-alpes/emissions/chroniques-haut

Sur France.tv  tous les N° sont disponibles : https://www.france.tv/france-3/chroniques-d-en-haut/


Lors d’un tournage à Tignes, Laurent Guillaume a testé le Ice Flotting ©France Télévisions

2 réflexions sur “Laurent Guillaume, l’émotion intacte

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