Grande bourgeoise anglaise intrépide, féministe, rompue à l’exercice de sports multiples, elle intrigue et fascine. Sa grande histoire d’amour avec son guide chamoniard Jean-Estéril Charlet en compagnie duquel elle réussit la première course hivernale au mont Blanc en I876 parachève la légende!

Isabella Straton ©DR
A vingt ans Isabelle Straton perd ses sœurs et ses parents, se retrouve sans famille, seule héritière d’une fortune qui lui permet de voyager et de s’adonner à sa nouvelle passion : l’alpinisme. Un milieu viril, où son courage et son endurance, ses prouesses sportives, font vite taire les mauvaises langues ! Son amie Emmeline Lewis-Lloyd lui a communiqué le goût de l’escalade à une époque où la pratique de cette activité pour une femme est perçue comme dangereuse et inconvenante…

Lorsqu’elles arrivent à Chamonix, les deux amies séjournent à l’hôtel de l’Union, aujourd’hui disparu.
Rebelles, indépendantes financièrement et grandes sportives, les deux jeunes femmes quittent l’Angleterre et entreprennent une série de courses en montagne dans les Pyrénées et les Alpes. Affichée dans le couloir de l’hôtel « la Pointe Isabelle » à Chamonix qui lui rend hommage (voir encadré), la liste de ses ascensions d’Isabella entre 1860 et 1876 impressionne et comporte plusieurs premières parmi lesquelles l’Aiguille du Moine (1871), la Pointe Isabelle (dans la chaîne du Triolet, 1875) et surtout le mont Blanc en hiver qu’elle gravit le 31 janvier 1876 par l’arrête des Bosses.

Mont Blanc avec l’arrête des Bosses. Itinéraire emprunté par Isabelle pour sa première hivernale ©OT_Chamonix-Mont-Blanc
Son palmarès force l’admiration. A l’époque l’équipement rudimentaire ne rend pas l’exercice facile et protège peu des intempéries dans un environnement hostile dont on ne maîtrise encore que très partiellement tous les risques. L’hiver c’est pire ! En cette fin du XIXème siècle les conditions d’escalade augmentaient terriblement le pourcentage d’accidents. D’autant plus que parmi les guides qui se précipitaient sur les touristes dès leur arrivée dans la vallée, beaucoup étaient inexpérimentés pour accompagner des clients qui eux-mêmes étaient pour la plupart des novices !

Drôle d’équipée!
Dans son livre, co-écrit avec David Ravanel « Compagnie des guides de Chamonix. 200 ans d’histoire » (éditions Glénat), Joëlle Dartigue-Paccalet, très admirative, consacre un chapitre à « La suzeraine du mont Blanc », reprenant l’expression employée par le chef des guides pour saluer le « caractère héroïque » de cette première hivernale d’Isabella Straton après quatre expéditions réussies au mont Blanc l’été.La première estivale féminine le 3 septembre 1838 revient à Henriette d’Angeville, franco-suisse, surnommée dès lors « la fiancée du mont Blanc ». Même Marie Paradis, fille du pays, qui l’avait précédée de trente ans ne s’attribue pas cet exploit, reconnaissant avoir ayant été « tirée, traînée et portée » au sommet ! « Amours scandaleuses au mont Blanc » publié en 2014 par les éditions Guérin, raconte par le menu et avec beaucoup d’humour, sous la plume de Marcel Pérès, l’histoire d’Isabella, femme d’exception et de son guide chevronné, dévoué et cultivé Jean-Estéril (né Jean-Stérile !) Charlet qui deviendra son mari le 21 novembre I876 à Argentière et le père de ses trois garçons. Contrairement à Henriette d’Angeville qui décrit sa tenue faite sur mesure, chaude et enveloppante malgré l’été, Isabella, si elle explique être parvenue au sommet du mont Blanc frigorifiée par moins vingt degrés, luttant contre un vent très fort et glacial et les doigts gelés ne dit rien de tel. Elle mentionne ses compagnons de cordée : son guide, Jean-Estéril, Sylvain Couttet, le gardien du refuge des Grands Mulets et deux porteurs dont l’un, tombé dans une crevasse et sauvé par la cordée avait fini par redescendre à Chamonix. Sylvain Couttet écrit : « les gens de Chamonix qui nous regardaient avec le télescope se disaient dans leur for intérieur : ils veulent vaincre ou mourir. Je crois bien que Mademoiselle Straton avait pris son parti… »


Acte de mariage d’Isabella Straton et Jean-Estéril Charlet. Le maire de Chamonix en 1876 est Joseph Tairraz mais ils ont été mariés à Argentière par François Charlet, adjoint (Document provenant des Archives de Chamonix)

Pointe Isabelle, un hôtel dédié à Isabelle Straton
L’agence suédoise Stylt d’Érik Nissen Johansen a eu la charmante idée de développer comme fil rouge l’histoire d’Isabelle Straton dans cet hôtel ayant appartenu à ses descendants. Cette tendance à la « story telling », peu fréquente encore en 2013-2014 lors de la reprise puis de l’ouverture de l’établissement (par des suédois et des finlandais) trouve ici une cohérence parfaite dans la décoration. Le logo écusson reprend la silhouette de profil de l’alpiniste élégante mais énergique, piolet en main sur fond de montagne. Décliné en moquette et sur un amusant papier peint en différentes couleurs un motif exclusif rappelle son univers réunissant chaussures à crampons, ombrelle, bottines, piolet, têtes de bouquetins… Même la signalétique des chambres évoque avec humour Isabella et son amoureux !


Salon et réception de l’hôtel Pointe Isabelle à Chamonix ©GaetanHaugeard-PointeIsabelle
Spécial Saint Valentin…Amours scandaleuses au mont Blanc de Marcel Pérès (éditions Guérin)

Article à retrouver dans le magazine Altus Chamonix Hiver 2023
Très intéressant, cette découverte de Madame Straton.
Merci pour ce nouvel article.
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